Le lundi 14 mars 2022, la 38e promotion du Master 2 Droit de la vigne et du vin s’est rendue à Sauternes pour une journée de visites, organisée par les soins du directeur de l’ODG Sauternes et Barsac, M. Pierre-Baptiste Fontaine (promotion 2016-2017).
Nous nous retrouvons en premier lieu à la Maison du Sauternes, une association fondée à la fin des années 1980 à l’initiative de la famille de Lur-Saluces (propriétaire originelle du célèbre Château Yquem et, encore à ce jour, du non moins fameux Château de Fargues) afin de réunir les producteurs de l’appellation. Véritable acteur de l’œnotourisme local, la Maison accueille le futur projet d’une « cité du vin de Sauternes » d’ici 2024, laquelle permettrait de présenter au public le patrimoine architectural et gastronomique de Sauternes, ainsi que d’expliquer son climat si particulier, favorable à la production des vins liquoreux qui font sa renommée. Ce sont aujourd’hui 60 adhérents qui contribuent à l’élaboration de ce projet, avec pour contrepartie une cotisation en nature représentant 0,5% de leur production annuelle. L’assemblage de ces lots permet la vinification du « Duc de Sauternes », reflet symbolique du travail de chacun des producteurs mis en commun. Nous en dégustons d’ailleurs deux cuvées distinctes, et découvrons un vin que l’on qualifierait de moyennement liquoreux : facile à apprécier, d’une agréable fraîcheur, il peut également servir d’étalon pour conseiller les clients à l’achat en boutique.

L’appellation Sauternes-Barsac couvre cinq communes, chacune présentant une certaine géologie et procurant aux vins des qualités organoleptiques distinctes. Parmi les 150 propriétés, certaines sont familiales, d’autres appartiennent à des groupes, et l’on y dénombre 27 Grands Crus Classés en 1855.
La production du liquoreux, comme on nous l’expliquera ensuite tout au long de la journée, nécessite la réunion de conditions climatiques presque miraculeuses, qui provoquent le développement de la pourriture noble. En plus de ces subtilités naturelles, que l’Homme ne peut évidemment contrôler, les producteurs de l’appellation s’efforcent depuis quelques années de redorer le blason de leur produit, détrôné à l’apéritif par le Champagne. Il s’agit alors de produire des vins plus modernes, pour réinsérer le liquoreux à table et déconstruire les idées conçues. Le vin liquoreux se marie en effet à bien plus de mets que l’on n’y songe à première vue et notamment avec des aliments qui offrent un contraste à la sucrosité ; par exemple, il convient tout à fait à des plats épicés ou des fromages forts.
LE CHÂTEAU D’YQUEM
Au sortir de la Maison du Sauternes, nous nous dirigeons avec impatience vers le glorieux Château d’Yquem. Son histoire, ancienne, est celle de l’expansion d’un domaine simplement familial jusqu’à sa reconnaissance internationale, grâce aux efforts constants d’une même famille pendant plus de quatre siècles. Jacques Sauvage, notable local, en devint le propriétaire en 1593 et ses descendants œuvrèrent dans sa lignée pour propulser le vignoble au rang de l’excellence, dont tout particulièrement Françoise-Joséphine de Sauvage d’Yquem, jeune veuve du comte Louis Amédée de Lur-Saluces : il s’agit véritablement du personnage phare d’Yquem, dont elle défendit courageusement les intérêts toute sa vie durant, notamment au cours de la Révolution française où elle fut jetée en prison à deux reprises. Elle fit également construire l’innovant chai à étages en 1826 (qui fut ensuite rénové en 2012), et c’est sous l’égide de son petit-fils, Romain-Bertrand de Lur-Saluces, que la propriété fut élevée au rang de Premier Cru Supérieur en 1855. En 1999, un nouveau chapitre s’ouvrit cependant avec la cession du Château d’Yquem à LVMH. On retrouve aujourd’hui dans la luxueuse sobriété des aménagements la marque du groupe, à l’instar du Château Cheval Blanc que nous avions visité le 25 janvier dernier.
L’allure du château séduit l’œil, bien qu’elle mélange plusieurs styles d’architecture : la « fausse » façade aux créneaux d’inspiration médiévale, bâtie en 1603, ou encore les constructions de la fin du XVIIe siècle, forment un ensemble protégé par une inscription aux monuments historiques en 2003.
Yquem, exposé aux vents d’Est et du Nord, bénéficie du micro-climat spécifique à l’appellation Sauternes. Juché à 75 mètres d’altitude, point culminant de la zone géographique par ailleurs, le château offre une vue imprenable sur ses parcelles qui s’étendent sur 189 hectares, dont 110 hectares de vignes cultivées sans herbicides. Afin de procéder à la sélection méthodique des grains atteints par la pourriture noble, ce sont près de 120 personnes qui sont mobilisées pour les vendanges dites « tardives » du sémillon et du sauvignon blanc. Tout lot ne correspondant pas aux critères d’Yquem est déclassé ; certaines rares années, le domaine renonce donc à la production de son grand vin, car l’excellence et la rigueur font figure d’impératif. Est également produit, à hauteur d’environ 10 000 bouteilles, un vin blanc sec appelé « Y ».
Nous avons l’honneur, en quittant le chai à barriques souterrain construit en 1987, de déguster le Château d’Yquem 2018 : millésime compliqué et tardif, il est le fruit des efforts acharnés des équipes techniques. Son assemblage a été ajusté en conséquence des pertes significatives causées par un orage de grêle au mois de juillet, et il mêle ainsi 85% de sémillon (contre 75% par principe) et 15% de sauvignon blanc. Ses notes florales, évocatrices du chèvrefeuille, du jasmin et de l’acacia, convainquent notre assemblée. C’est avec un sentiment de privilège immense que nous quittons finalement les lieux, et nous remercions sincèrement les équipes du Château d’Yquem pour leur accueil.
LE CHÂTEAU ROUMIEU

Après un déjeuner au Château Trillon, nous nous rendons à Barsac, au Château Roumieu. Barsac bénéficie de sa propre appellation en Sauternes (bien que ses producteurs puissent revendiquer tant l’AOC Sauternes que l’AOC Barsac), du fait de son terroir particulier, qualifié d’argilo-calcaire.
Cette propriété familiale compte 15 hectares de vignes dont une large majorité de sauvignon blanc (89%, pour 9% de sémillon et 1% de muscadet), permettant la production d’environ 40 000 bouteilles sur les meilleures années.
Nous avons le plaisir de déguster directement au chai, qui date de 1896, plusieurs des vins de la propriété, dont le millésime 2015 du liquoreux qui nous ravit particulièrement. Le Château Roumieu compte parmi ces domaines familiaux durement heurtés par les aléas climatiques (à titre d’exemple, le domaine a subi près de 90% de pertes en 2021) et d’autres difficultés, mais néanmoins toujours soutenus par l’admirable et indéfectible passion de leurs propriétaires.
LE CHÂTEAU LA CLOTTE-CAZALIS
C’est au Château La Clotte-Cazalis, à Barsac, que nous achevons finalement notre belle journée dans l’appellation. Exploitation familiale depuis 1779, elle est aujourd’hui incarnée par Marie-Pierre Lacoste Duchesne, œnologue de formation, qui est à l’origine de son renouveau. Le château accueille à son initiative un véritable musée de la production, dans lequel nous découvrons de précieux vestiges d’une vinification d’antan ; en attestent par exemple les superbes cuves de 1910, conservées en l’état. La propriétaire des lieux nous propose ensuite à la dégustation plusieurs de ses vins blancs secs et liquoreux.
LE MASTER 2 A SAUTERNES, FIN DE L’EXPÉDITION
Quelque peu fatigués par notre aventure (des litres d’or liquide furent dégustés ce jour-là…) mais enchantés, nous regagnons tranquillement Bordeaux.
Ce cycle de visites nous a permis de découvrir des propriétés aux essences bien distinctes (du Premier Cru à la petite exploitation familiale), pour autant toutes aussi fascinantes les unes que les autres. Surtout, nous avons été initiés à ce produit noble qu’est le liquoreux et dont le retour sur les tables pourrait bien être célébré dans les années à venir. Pour les plus passionnés du nectar, rendez-vous le 18 juin 2022 à l’occasion de « Sauternes fête le vin » !
Auteur: Lucie Lebrun